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Mardi 12 juillet 

Il dormait profondément, à même le parquet, recroquevillé dans l’angle de la pièce. Ange gardien qui ressemblait à un félin replié sur lui-même. Les griffes rétractées. Inoffensif.

Elle, par contre, n’avait pu trouver le repos. Nuit blanche. Noire. Rouge.

Elle regarda le jour se lever sans trop y croire. Cette pénombre d’horreur n’était donc pas éternelle...

Les débris de son cauchemar flottaient dans son cerveau comme ceux de l’avion après le crash au milieu de l’océan. Cette eau tiède et rouge, aussi épaisse que du sang, qui avait envahi chaque faille de son être jusqu’à l’étouffer... Et ce grand vide. Dans sa tête, dans son ventre. Vide cruel et inexplicable...

Elle se mit à murmurer une longue déclaration à l’absent. Remuant à peine les lèvres, elle pria d’une voix douloureuse, presque imperceptible.

— Tu me manques, mon amour. Tu me manques tellement... Tes yeux, tes bras... ta voix, tes mains. Ça me rend dingue, ça m’empêche de dormir. Que vaut la liberté sans toi ? Si c’est pour m’enfermer dans le manque de toi ? Non, je n’abandonnerai pas. Aujourd’hui ou demain, tu seras libre. Tu l’es peut-être déjà. Moi, je le serai bientôt. Je t’appellerai et tu viendras... Je sais que tu viendras. On commencera une nouvelle vie ailleurs, celle dont on avait rêvé quand on se retrouvait comme deux hors-la-loi au fond de ma cellule. Celle qu’on ne s’est jamais dite. De toute façon, les mots, ça vaut rien. Rien n’est plus fort que ce qu’on ressent l’un pour l’autre. Rien ne nous empêchera de nous retrouver. Rien, jamais, mon amour. Je briserai tous les obstacles comme toi tu as brisé tous les interdits. Toi qui as su me voir, m’aimer. Me trouver, derrière le monstre que tout le monde rejette. À toi seul j’appartiens...

Elle tourna la tête, trébucha sur les émeraudes qui brillaient au petit matin. 

*** 

L’ivresse de la douleur ne l’avait pas assommée.

Seule dans le bureau de Daniel, sur son lit défoncé, elle pensait à lui. Avec un regret meurtrier.

Il restait encore un paquet de cigarettes entamé sur la table en formica. Tous ses dossiers, sa tasse de café. Son empreinte de géant. Partout. Et un livre. L’Église Verte.

La justice ne vaut rien. Et moi, je garde ses prisonniers. Je me suis trompée depuis le début. Seuls comptent les sentiments. Ce sont eux, les maîtres de tout. Marianne, ne reviens jamais. Il est mort pour toi, à cause de toi. Parce que tu l’as quitté. Alors, reste libre. Fais au moins ça pour lui.

Au milieu du chaos et des larmes, Justine perçut une voix familière. Solange qui parlait au téléphone, dans le bureau voisin. Un éclair déchira sa tête. Une évidence pulvérisa son cœur.

C’était elle, la coupable. Une coupable qui jamais ne paierait. Parce que la justice ne vaut rien. 

*** 

Franck préparait le petit-déjeuner de Marianne. Il avait du mal à contenir son émotion. Après ce qu’il venait d’entendre... Les quelques mots saisis au milieu de la complainte lui avaient retourné le cœur. Elle aimait cet homme. À en mourir. Il trouvait cela si beau. Ça lui faisait pourtant si mal.

Simple jalousie de ne plus être aimé ainsi. De ne peut-être l’avoir jamais été. Sentiment ridicule. Un maton contre un flic d’élite. Pourquoi lui ? Et pas moi ? Pourtant, il n’aimait pas Marianne. Alors, quelle importance ?

Laurent déboula dans la cuisine avec une mine sombre. Il balança le journal sur la table.

— Ils ont publié la lettre, annonça-t-il.

— C’est plutôt une bonne nouvelle ! Alors pourquoi tu tires la gueule ?

— Bachmann est mort... Il s’est suicidé dans sa cellule, cette nuit. Ils viennent de l’annoncer à la radio. Mais ce n’est pas encore dans le journal, précisa Laurent.

Franck mit du temps à retrouver la parole. Complètement anéanti.

— Il ne faut pas que Marianne l’apprenne, murmura-t-il enfin. Sinon, tout est fini...

— Elle a la radio et la télé dans sa chambre, rappela le capitaine avec un calme olympien.

— Pour le moment, elle est menottée au lit... On va lui monter son petit-déj’... Tu iras dans la salle de bains récupérer la radio. Trouve un prétexte à la con, du style la tienne est en panne.

— Et la télé ? Je ne crois pas qu’elle l’allume souvent mais... Je peux pas la lui embarquer aussi, sinon elle va se douter de quelque chose.

— Je vais l’emmener en balade dans le jardin, tu en profiteras pour foutre le poste en panne... Démerde-toi pour que ça ne marche plus quand on revient. Ni l’image, ni le son. Et informe Philippe de la situation, dis-lui de bien tenir sa langue.

— Je m’en charge.

Le commissaire piqua une clope à son ami.

— Tu fumes beaucoup, en ce moment...

— Je suis assez nerveux.

— C’est compréhensible... Mais ne t’inquiète pas. Il suffit de lui montrer le journal d’aujourd’hui... Elle verra la lettre, ça la rassurera. De toute façon, demain, tout sera fini.

Franck termina de préparer le plateau. Ses mains tremblaient un peu. Comment avait-elle pu savoir ? Entrevoir dans son cauchemar la terrible réalité ? Quel don incroyable possédait-elle ? 

*** 

Il était quatorze heures lorsque Franck réapparut dans la chambre. Il y avait quelque chose d’inédit dans ses yeux. Un mélange de tristesse, de tendresse. De détermination. Elle comprit tout de suite. Le moment était venu. Il la délivra des menottes, attrapa sa main.

— Viens, on descend...

Elle se laissa entraîner vers son destin, serra sa main dans la sienne tandis qu’ils quittaient l’étage.

— C’est pour aujourd’hui, c’est ça ?

L’angoisse transformait sa voix.

— Oui, dit-il. Pour cette nuit.

Ses jambes se dérobèrent sous l’émotion. Il la supporta, l’aida comme il pouvait. Les deux flics attendaient dans le salon, la mine grave, de circonstance. Presque en deuil, déjà. Elle se posa sur une chaise, les observa tour à tour, les mains jointes entre ses jambes. Prête à entendre ce qu’elle redoutait tant. Franck s’assit en face d’elle, lui passa un journal. Un sourire angélique illumina son visage. Y gommant presque l’angoisse.

— La lettre... Ma lettre... !

— Oui, Marianne... Tu vois, je n’ai qu’une parole.

Le capitaine baissa les yeux. Philippe essaya de masquer son désarroi.

— Il va sortir quand ? demanda-t-elle.

— Aujourd’hui ou demain, sans doute... On ne peut pas encore savoir.

Il était déjà sorti, en fait. Avait rejoint la morgue pour tomber entre les mains gantées d’un légiste.

Franck contempla son visage heureux, sa gorge se noua. Il avala le mensonge qui lui brûlait la langue. Mais la digestion s’annonçait longue et difficile.

— Maintenant, je vais t’expliquer ce qu’on attend de toi, Marianne...

— Je vous écoute.

Il s’accorda quelques secondes avant de se lancer. C’était délicat. Pourtant, il avait appris sa leçon. Mais le suicide du gardien lui coupait un peu les jambes. Alourdissait sa foulée.

— Tu agiras cette nuit. Nous te déposerons tout près d’une maison dont je vais te donner l’adresse. Il faudra que tu retiennes tout par cœur. Je ne peux rien t’écrire, tu comprends ?

— Oui, je comprends. Si jamais je me fais piquer, pas de trace.

— C’est ça, oui... Tu iras donc au numéro 12 de la rue Auguste-Renoir. Une jolie propriété dans la banlieue de F. C’est là qu’habite Xavier Aubert.

— Xavier Aubert ? Mais... C’était l’avocat général à mon procès... Ou alors, c’est un homonyme ?

— C’est bien lui, Marianne. C’est le procureur général de P... Tu vas t’introduire chez lui, il sera seul, son épouse et ses enfants sont absents. Tu seras armée, je te donnerai le Glock qui t’a servi à l’hosto. Tu vas maîtriser Aubert et lui demander de te remettre un dossier... La copie d’un dossier, plus précisément. Le dossier Charon. On ne sait pas où il le planque. Il se peut qu’il oppose une résistance mais j’ai confiance, tu sauras le décider...

— S’il refuse, je le frappe, c’est ça ? Jusqu’à ce qu’il parle...

— C’est ça.

— Et si le dossier n’est pas chez lui ?

— Il faudra qu’il te conduise où il l’a planqué, dans ce cas. Vous utiliserez sa voiture.

Elle piqua une Marlboro, Laurent lui donna du feu.

— Dès que tu as le dossier, vérifie que c’est le bon. Il suffit de jeter un œil à la première page. Normalement, tu devrais y lire le nom de Charon quelque part.

— Ben oui, puisque c’est le dossier Charon...

Laurent esquissa un sourire. Franck poursuivit.

— Il doit contenir un film, aussi. Une cassette vidéo, tu vois... Quand tu es certaine d’avoir le bon dossier, tu élimines Aubert.

— Je... l’élimine... comment ?

— Deux balles dans la tête ou dans le cœur. Assure-toi qu’il est bien mort. Il ne faut pas qu’il survive.

— Oui... Mais... Je vais ameuter tout le quartier avec un joujou comme celui-là.

— J’ai prévu un silencieux. Dès qu’il est mort, tu te casses. On t’attendra dans la rue, tu nous rejoins.

Elle se torturait les mains. Essuyait la moiteur de son front.

— La baraque est équipée d’une alarme, je t’expliquerai comment la neutraliser juste avant l’intervention. C’est pas bien compliqué, mais inutile que je t’embrouille la tête avec ça. Il y a aussi un système de vidéosurveillance installé au portail et à la porte d’entrée...

— Il faut que je flingue les caméras, c’est ça ?

— Justement non, Marianne... En tout cas, pas tout de suite.

— Mais… Si je me fais filmer, ils vont savoir que c’est moi !

— C’est le but de l’opération... Tout le monde doit savoir que c’est toi. Tu es sortie de prison, tu veux te venger de ceux qui t’y ont envoyée. Ce type t’a enfoncée pendant le procès, non ?

— Oui... C’est lui qui a réclamé perpétuité et peine de sûreté... Il voulait un exemple !

— Il est clair que les jurés se sont laissé influencer par son réquisitoire, non ? Il paraîtra donc normal que tu aies envie de le lui faire payer...

— Normal ? ! Je me suis évadée, j’ai autre chose à foutre que buter l’avocat général, même si je le hais !

— Nous pensons au contraire que ta réputation jouera en faveur de ce scénario... Parce que tu as beaucoup de victimes à ton actif, que les psys t’ont jugée dangereuse, irrécupérable... Ils se sont trompés, certes... Mais pour l’opinion publique, il n’y aura rien d’étonnant à ce que tu continues à tuer... Que tu te venges.

Elle grilla une autre cigarette.

— Et puis... Tu as peut-être vraiment envie de te venger de ce mec, non ?

— C’est vrai que ce fumier m’a mis la tête sous l’eau mais...

— C’est ainsi que les choses se passeront, coupa Franck.

— Je le ferai, assura Marianne.

— Bien... Donc, tu nous rejoins dans la bagnole et ensuite...

— Ensuite ? Pourquoi, c’est pas fini ?

— Non, Marianne. Ce n’est pas tout... Ensuite, nous repartirons vers P. Vu que tu auras agi au petit matin, nous devrions y arriver peu avant huit heures...

— Qu’est-ce qu’on va foutre à P. ? S’étonna Marianne avec une appréhension évidente.

— Nous te déposerons non loin du Palais de justice... Il faudra que tu t’y introduises.

Elle avala sa fumée de travers.

— Quoi ? ! Mais vous êtes malades ! Si je mets un pied au Palais, je vais me faire allumer !

— Il sera tôt, il n’y aura pas foule. À toi de te démerder. Je t’avais prévenue que ça serait une mission dangereuse... Tu iras dans le bureau d’un juge d’instruction. Le juge Nadine Forestier.

Les yeux de Marianne s’arrondirent comme deux OVNI.

— Je sais, c’est elle qui a instruit ton affaire de double meurtre. Celle-là aussi, tu dois la détester !

— Je la hais, c’est vrai... Et quoi ? Faut que je cambriole son bureau, c’est ça ?

— Non, Marianne... Elle arrive toujours très tôt au Palais. Elle sera là, comme chaque matin. Seule. Sa greffière n’arrive qu’à huit heures quarante-cinq ou neuf heures...

Elle essaya de garder espoir même si elle pressentait le pire.

— Tu t’arranges pour atteindre son bureau... Je pense que tu te souviens de l’endroit où il est situé ?

— Deuxième étage, au fond à droite.

— Parfait. Elle sera donc seule, ses premiers rendez-vous n’arrivant qu’à neuf heures... Tu l’obliges à te remettre l’original du dossier Charon. Il doit normalement se trouver dans son bureau.

— Comment ça se fait que c’est elle qui a l’original et l’autre la copie ? C’est quoi, ce dossier ?

— Forestier et Aubert sont amants.

— Tu rigoles ! Ricana Marianne.

— Non. Nous les surveillons depuis assez longtemps pour en être sûrs, crois-moi !

— Comment elle fait pour se taper ce vieux porc ? Cette femme est folle ! Ça m’étonne qu’à moitié ! Ou alors, elle fait ça pour sa carrière...

Laurent se mit à rire, Franck sourit.

— Ça, c’est pas notre problème... Bon, revenons à notre affaire, tu veux bien ? Tu récupères donc l’original. Encore une fois, vérifie bien qu’elle te donne le bon dossier et la cassette vidéo qui va avec...

— J’ai compris, monsieur le commissaire, je ne suis pas débile ! Et j’en fais quoi, de ce dossier ?

— Tu nous le ramènes, bien sûr... Mais d’abord, il faut que tu élimines Forestier.

— Qu’est-ce que t’as dit ? murmura-t-elle.

— Tu dois tuer Forestier, répéta Franck avec aplomb. Elle se leva brusquement, sa chaise bascula en arrière.

— Mais... Tu m’avais parlé d’une cible ! Pas de deux ! hurla-t-elle.

Laurent lui redonna sa chaise et la rassit un peu brutalement. Elle flanqua un coup de pied à la table.

— Calme-toi, ordonna Franck.

— Non, je ne me calmerai pas ! Pourquoi tu m’as menti ?

— Je... Je n’étais pas autorisé à te révéler les détails... Nous avons pensé que ça ne changerait pas grand-chose et...

— Détails ? Pas grand-chose ? Rugit-elle. Tu te fous de ma gueule ?

— Non. Au départ, nous pensions vraiment que ça ne te dérangerait pas de tuer... Que ce soit une ou deux personnes. Quand j’ai vu que ça te posait un problème, lorsque tu m’as posé la question au parloir... je me suis dit qu’il valait mieux minimiser les choses. J’avais peur que tu refuses.

Elle cala son front entre ses mains, martyrisa à nouveau la table.

— Salauds ! murmura-t-elle.

— Tu détestes cette femme. Elle ne t’a laissé aucune chance. Je pensais que ça te faciliterait la tâche... Que ce serait moins dur pour toi.

— Si je devais buter tous ceux que je déteste, tu serais mort, toi aussi !

Il encaissa sans broncher. Juste une petite fêlure au fond du vert. Il continua à la mitrailler d’horreurs.

— Nous ne pouvons rien changer, désormais. Forestier doit mourir. Comme Aubert...

Elle leva les yeux sur lui. Il eut un frisson glacé dans l’échine.

— Comment les gens sauront-ils que c’est moi qui ai descendu la juge ?

— Tu le feras avec la même arme que pour Aubert... La police fera vite le rapprochement.

— Votre plan est foireux ! De toute façon, je refuse ! J’ai été embauchée pour tuer une cible, pas deux...

— Tu le feras. Tu n’as pas le choix. Pense à ton mec... Philippe ferma les yeux. Marianne fusilla le commissaire d’une rafale meurtrière.

— Si jamais ça tourne mal et que tu ne peux nous rejoindre près du Palais, je vais te donner une autre adresse qu’il te faudra retenir par cœur, OK ?

— Je ne tuerai pas Forestier...

— Arrête, Marianne ! exigea Franck d’un ton martial. Encore une fois, tu n’as pas le choix.

— Pourquoi ? Pourquoi doivent-ils mourir ? C’est quoi, ce dossier ?

— Moins tu en sauras, mieux ça vaudra...

— Tu... Tu m’avais assuré que je n’aurais pas à descendre un innocent...

Il fit mine de réfléchir.

— Aubert et Forestier sont amants depuis environ deux ans. Visiblement, c’est ton procès qui les a rapprochés... Curieux, non ? Et nous avons récemment découvert qu’ils ont plein de points communs. Notamment, des mœurs tout à fait particulières... Et répréhensibles.

— Qu’est-ce qu’on en a à foutre de leurs meurs ? ! Ils jouent à des jeux sado-masos, peut-être ? Il y a des tas de gens qui aiment ça... ! Même ceux qu’on ne soupçonnerait pas... Des tordus, y en a partout !

Franck déboutonna le col de sa chemise, signe d’embarras. Marianne lui envoya un sourire méchant dans les gencives. Mais il contre-attaqua immédiatement.

— Sauf que ces deux-là s’amusent avec des gosses, Marianne... On a démantelé un réseau de pédophilie et appris qu’ils y étaient mêlés de près. Ce sont des clients habituels, si tu vois ce que je veux dire...

— Mais... Si ce sont des pédos, suffit de les envoyer en taule !

Franck se leva. Cala ses mains au fond de ses poches.

— Tu n’es peut-être pas très au courant de l’actualité de ces derniers temps, Marianne...

— Excuse-moi, je viens de passer quatre ans dans un trou... Alors non, j’ai pas bien suivi l’actualité !

— Un certain nombre d’affaires de ce style ont été mises au jour ces dernières années, impliquant parfois des notables, des gens haut placés. Là, il s’agit de deux représentants de la justice française. Un procureur et un juge d’instruction, deux personnes censées être irréprochables... Si cette affaire éclate, c’est un nouveau scandale qui s’abat sur la République.

— C’est seulement la preuve que les flics et la justice font bien leur boulot ! Je ne vois pas en quoi ça gêne la République... Au contraire !

— En haut lieu, on préfère que cela se règle en sourdine, dit-il en soupirant.

— Je vois... Nouvelles méthodes expéditives ! Et le dossier Charon, dans tout ça ?

— C’est juste un dossier que nous aimerions récupérer à cette occasion. Je n’ai pas envie que tu en saches trop. Disons seulement que ces deux malades se doutent qu’on va leur tomber dessus, suite à l’arrestation de certains membres du réseau de pédophiles. Ils pensent être à l’abri en détenant un dossier un peu compromettant...

— Ben voyons ! J’élimine deux salauds et j’en sors un troisième de la merde... Charon ! Jolie morale, commissaire... !

— Rien à voir... Pour Charon, il s’agit seulement d’une affaire mineure. La seule chose que tu dois savoir, c’est que nous voulons éliminer ces deux fumiers et en profiter pour récupérer le dossier en question... Tu comprends ?

— Je comprends, oui... Je comprends que vous vous êtes bien foutus de ma gueule ! Et... Ensuite ?

— Tu auras l’argent, les faux papiers et l’obligation de quitter le pays pour ne jamais y revenir.

— Tu crois vraiment que je vais gober ça ? Je descends un proc’, un juge et je suis libre ! Merci et bon voyage, Marianne ! Non, Franck ; je fais le sale boulot et, ensuite, vous me liquidez, voilà ce qui va réellement se passer... ! Lequel de vous trois est chargé de me descendre ?

Elle les regarda tour à tour. Aucun ne baissa les yeux.

— Tu te trompes... Tu es pour nous l’arme parfaite ! Ces crimes passeront pour une vengeance de la part d’une ancienne détenue un peu cinglée qu’on ne retrouvera jamais. Mais c’est clair depuis le départ, tu obtiendras ta liberté en échange de ce boulot...

— J’te crois pas ! Tu me prends vraiment pour une demeurée, pas vrai, Franck ?

— Non, Marianne. Nous avons un contrat tous les deux ; si tu respectes ta part, je respecte la mienne...

— Je représenterai forcément un danger pour vous lorsque j’aurai terminé la mission ; je connais la vérité, je deviens encombrante... Donc, vous ne prenez aucun risque, vous m’éliminez... !

— Tu ne peux pas être encombrante, tu es recherchée par toutes les polices de ce pays. Tu n’aspireras qu’à disparaître... Je ne vois pas pourquoi tu irais raconter cette histoire à qui que ce soit.

Elle secoua la tête, incrédule.

— Tant pis si tu n’as pas confiance en moi. Tu te rendras compte par toi-même que je n’ai pas menti. Mais tu accompliras d’abord ce que nous attendons de toi. Parce que sinon, je me verrai obligé de faire un truc qui m’écœure par avance.

— T’en prendre à Daniel, c’est ça ?

— C’est ça, Marianne. Je n’en ai pas du tout envie. Mais s’il faut en arriver là pour que tu obéisses, je le ferai. Tu peux me croire.

— Pas de problème, pour ça, je te crois ! Je pense que torturer les gens, ça te fait jouir, sale con !

— Tu te trompes, une fois de plus. Et arrête de m’insulter, s’il te plaît...

— Je me trompe ? Moi, je crois au contraire que ça vous plaît bien de faire mal aux gens, commissaire... Mais peut-être que ça vous gêne qu’on en parle ? De tes mœurs très particulières ?

Il la cogna du regard. Mais rien ne pouvait la stopper.

— Tu veux que je leur montre ce que tu m’as fait ?

Il s’approcha, se planta face à elle.

— Qu’est-ce qu’il y a, Marianne ? Tu veux leur dire quoi ? Que nous avons couché ensemble ? La grande nouvelle que voilà ! Tu crois qu’ils en ont quelque chose à foutre ?

Laurent eut un sourire, un peu complice, Philippe cacha sa surprise derrière un visage de marbre. Elle abandonna la partie. Mais Franck retourna la situation à son avantage avec l’ingéniosité du serpent.

— Tu veux leur dire quoi, Marianne ? Que tu t’es fait sauter par un mec que tu connais à peine ? Ou peut-être qu’en taule, tu couchais pour obtenir ta came et tes clopes ? Leur expliquer que tu es une fille facile ?

Elle se leva d’un bond, il reçut une gifle dont la force manqua de l’envoyer au tapis. Il ne répondit pas. Sauf par un sourire odieux.

— Ça suffit, intervint Laurent. Que tu aies couché avec Franck, ou qui que ce soit d’autre, on n’en a effectivement rien à cirer ! Ce qui nous intéresse, c’est que tu acceptes le contrat, que tu élimines ces deux ordures... Sachant que, s’il te venait à l’esprit de refuser, on amènerait ton mec ici et on le garderait au chaud tant que tu n’aurais pas pris la bonne décision. Ne nous oblige pas à faire une victime de plus dans ce merdier... Je sais que tu es intelligente.

Le capitaine avait pris le relais, Franck le remercia d’un regard. Puis il reprit les rênes pour le coup de grâce.

— Surtout, ne t’avise même pas de nous doubler, Marianne. Si tu avais l’idée de disparaître avec l’arme et le dossier, tu le regretterais. Je commencerais par récupérer ton ami. Et puis je te retrouverais, toi. Et là tu verrais vraiment de quoi je suis capable quand je suis furieux...

Ils cessèrent de la harceler un moment. Lui laissèrent reprendre ses esprits.

— Alors ? demanda Franck. Tu décides quoi, Marianne ?

— Parce que j’ai le choix, peut-être ? ! répondit-elle avec désespoir. Et... Si je me fais serrer ? Si les flics ou les gendarmes m’arrêtent au Palais ?

— Si jamais ça arrive, tu te démerdes pour qu’ils ne te prennent pas avec le dossier. Tu expliques que tu voulais te venger, c’est pour ça que tu as descendu la juge et le proc’. Et s’ils chopent le dossier, tu expliques que tu l’as taxé au hasard...

— Ben voyons ! J’ai été attirée par la couleur de la pochette ! Comme ça, ils me mettront direct à l’asile...

— Ça n’arrivera pas Marianne. J’ai confiance en toi. Mais là encore, je te conseille de pas nous balancer. Ça serait vraiment une catastrophe pour toi et ton ami...

— Je vois... Donc, si je me fais piquer, je replonge en beauté, c’est ça ?

Il retrouva un visage plus doux, une voix plus calme.

— Non. Je m’arrangerai pour te sortir de là.

— Encore un bobard, hein commissaire ? Si je me fais arrêter, je recevrai un colis piégé dans ma cellule... Ou vous paierez quelques détenues pour me faire la peau... Pas vrai ?

— Non, Marianne. Je te sortirai de là... Si tu as su tenir ta langue, bien sûr.

Elle lui posa une question qui lui dévorait le cerveau.

— Comment comptais-tu me forcer à agir si... si je n’avais pas parlé de Daniel ?

— Tu connais la réponse, Marianne. Le boulot contre ta vie et ta liberté... C’était ma seule arme. Mais je réalise qu’elle était peut-être insuffisante. 

*** 

Il entra dans la chambre sans frapper. Elle était assise à côté du lit. Le front posé sur les genoux. Position de défense.

— Tu devrais dormir, dit-il. Parce qu’il faudra que je te réveille très tôt...

— Je n’arriverai pas à dormir. Laisse-moi seule. Va-t’en...

Il pensa rebrousser chemin. Mais elle semblait tant avoir besoin d’aide qu’il se refusa à l’abandonner. Il passa une main dans ses cheveux. Elle redressa brusquement la tête, montrant un visage dévasté.

— Me touche pas...

— Tu crois que ce n’est pas dur pour moi aussi ?

— Pour toi ? ! Mais toi, tu n’as pas à te salir les mains, Franck... Tu as juste à envoyer ta tueuse à gages... Vrai que ça doit être vachement dur !

— C’est mon boulot... C’est pour ça qu’on me paye.

— C’est pas un boulot de flic ordinaire...

— Je ne suis pas un flic ordinaire.

— T’es quoi, exactement ?... OK, dit-elle en essuyant ses larmes. Moins j’en sais... Tu me passes mes cigarettes ?

Il tendit le bras, attrapa le paquet sur le bureau. Elle posa sa nuque sur le matelas. Ferma les yeux.

— J’ai envie de came...

—Tu es en manque ?

— Non... Il me faudrait juste un rail de coke au petit-déj’ ! Thomas et moi, on en sniffait toujours avant les cambriolages... Ça évite d’avoir la trouille.

— Tu t’en sortiras très bien, Marianne.

— Comment peux-tu dire ça ? Je vais tuer froidement deux personnes sans défense... Même si c’est des salauds, ça reste deux assassinats... Non, je ne m’en sortirai pas très bien... Vous pensiez vraiment que j’étais prête à tuer de sang-froid, sans aucune hésitation ? Pour qui me preniez-vous donc ?

Il vit une larme s’arrondir au coin de son œil. Avant de couler lentement sur sa joue creusée d’effroi. Il s’installa près d’elle. Il avait tant de mal à rester loin. À rester insensible.

— Nous nous sommes trompés sur ton compte. Nous pensions avoir en face de nous une criminelle sans scrupules. Une fille qui vénérait la mort, qui aimait la donner. Je me suis planté, Marianne. Je croyais pouvoir te faire agir en te promettant simplement la liberté. S’il n’y avait pas eu Daniel, tu aurais refusé, n’est-ce pas ?

— Oui... J’avais prévu d’accepter après le dernier parloir. Mais... je pensais arriver à échapper à votre vigilance avant d’avoir à commettre le meurtre. C’était ma seule chance de sortir de cet enfer... Et s’il n’y avait pas eu Daniel, j’aurais refusé, ce soir... J’aurais préféré mourir.

— Comment peux-tu dire ça, Marianne ? Ta vie n’a donc aucune importance ?

— Il y a longtemps que je n’ai plus de vie... Plus d’importance, non plus...

Il posa sa main sur sa nuque, elle s’éloigna immédiatement de lui.

— Maintenant, il y a une vie qui t’attend... Et pour moi, c’est important.

— Pourquoi tu continues à me mentir, Franck ? murmura-t-elle. Je le ferai pour Daniel... Tu peux me dire la vérité, maintenant... Ça ne changera rien.

Il la força à tourner la tête, braqua ses yeux au fond des siens. Elle sonda les émeraudes. Un tressaillement la secoua des orteils jusqu’à la racine des cheveux. Non, il ne mentait pas.

La vie devant moi.

Avant, ce qui l’effrayait dans l’obscurité, c’était de ne plus avoir d’avenir. Mais, en cette seconde, cette vaste étendue qui s’offrait à elle la terrorisait encore davantage.

— Une vie de cavale ? Avec la peur au ventre ? À regarder sans cesse derrière moi ?

— C’est mieux que de regarder au travers des barreaux, non ? Et puis nous avons tout organisé pour ta fuite... Les papiers seront plus vrais que nature, tu auras assez d’argent pour redémarrer ailleurs.

— Mais... Où je vais aller ? Je... Je ne connais même pas mon pays... Je vais être perdue... Je serai seule, à l’étranger... Seule au monde...

— Tu as toujours été seule au monde, Marianne.

— Non... Pendant quatre ans, j’ai été assistée ! Dans une cellule de 9 m2, avec trois repas par jour. Je n’ai jamais travaillé, je ne sais rien faire de mes mains... À part frapper et tuer...

Elle contemplait ses mains, justement. Il avait envie de les prendre dans les siennes.

— Tu apprendras. Tu es intelligente, tu as de l’instinct... De la sensibilité, aussi. Et une force impressionnante... Des qualités que beaucoup n’ont pas. Tu trouveras ton chemin, j’en suis certain.

— J’ai la trouille...

— Je... Je serai toujours là pour toi, Marianne. Je te laisserai un numéro où me joindre. Juste un numéro... Et si tu as besoin de moi...

— Tu dis ça pour me rassurer !

— Non... J’ai beaucoup de défauts, mais je n’ai pas pour habitude de laisser tomber les gens. Je ne t’abandonnerai pas. Pourtant, je suis sûr que tu ne m’appelleras jamais... Tu partiras et je n’entendrai plus jamais parler de toi.

Elle chassa ses larmes d’un geste machinal.

— Il faudra juste que je vive avec le poids de ce que je m’apprête à commettre. Et là, personne pourra m’aider...

— Tu avais déjà un poids à porter... Il sera plus lourd désormais. Mais tu le supporteras.

Il réchauffait son cœur entre ses mains, déclenchait ce drôle de carambolage dans sa chair. Haine, aversion, peur. Attirance, trouble, émotion. Elle l’entendait encore menacer Daniel. Mais elle n’avait personne d’autre à qui parler ce soir. Personne d’autre pour la réconforter avant le grand plongeon dans l’horreur. Le seul qui lui avait promis un jour la liberté. Son bourreau et son sauveur. Comme Daniel avait été son geôlier et son amant. Aimait-elle à ce point les contradictions ?

— Qui t’a blessé, Franck ? murmura-t-elle soudain.

— Personne, Marianne...

— Je le sens, pourtant. On a souffert tous les deux... On a fait du mal, tous les deux... Des trucs qui saignent dedans, ça s’arrête jamais... Tu as peur que je tente encore quelque chose, Franck ?

— Non... Je crois que tu ne feras plus rien, maintenant.

— Alors, détache-moi. C’est peut-être ma dernière nuit, je voudrais pas la passer enchaînée à un lit.

Il hésita un instant puis finit par la délivrer. Il s’était agenouillé face à elle, fesses sur talons.

— Tu devrais dormir.

— Je ne dormirai pas et toi non plus...

— Tu veux que je reste ?

— Non. C’est Daniel que je voudrais près de moi... Tu peux pas savoir comme il me manque...

— Je... Je t’ai entendue, ce matin. C’était beau. Tellement bouleversant... Ces mots, pour Il a de la chance, beaucoup de chance. D’être aimé par toi...

Mais il est mort. D’amour.

Il essaya de se contenir. Il avait envie de pleurer, soudain. Il inspira à fond. Tenta de chasser cet homme de ses pensées. De refouler au plus profond de lui cet ignoble mensonge.

— Hier soir... Mon cauchemar... J’ai cru qu’il était mort... J’ai eu si peur ! Ça me tuerait s’il lui arrivait quelque chose.

Il serra les mâchoires jusqu’à s’infliger une violente douleur. Puis trouva la force de lui parler à nouveau. Il ne pouvait plus la sauver, désormais. Ne pouvait plus reculer.

— Je suis obligé, Marianne... Ces menaces... je n’ai pas le choix.

— J’ai pas envie qu’on parle de ça. Je n’ai plus envie qu’on parle.

Meurtres pour rédemption
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